reflux

un bloc inaccessible

La capture est facile : Wanda se termine par un arrêt sur images. Wanda semble dormir, les yeux clos, la tête penchée, à jamais murée dans sa soumission passive. Elle n’est en rien tragique, car elle n’a pas de destin : le temps coule sur elle inexorablement, indéfiniment, sans déclencher chez elle le moindre soubresaut, ce que souligne l’arrêt sur images. Elle s’est glissée, anonyme et silencieuse, dans un groupe bruyant venu écouter de la country music. En pleine époque féministe, Barbara Loden incarne et filme une femme sans volonté, absente au monde. Cette absence lui donne, par delà sa fragilité apparente, une force incommensurable : elle est un bloc inaccessible, un mystère impénétrable. C’est pourquoi seule Barbara Loden pouvait jouer ou plutôt incarner Wanda; elle seule a compris, sans pouvoir l’exprimer par des mots, cette morte-vivante, selon les propres mots de Barbara Loden. Le miracle de Wanda tient, selon Marguerite Duras, à la coïncidence immédiate et définitive entre Barbara Loden et Wanda. Cette coïncidence, cette imbrication du personnage et de son interprète résiste à l’interprétation : j’observe cette capture sans être capable de la moindre analyse.

On ne saura jamais d’où vient la blessure qui condamne Wanda à la désolation, on ne saura jamais quelle ancienne trahison ou quel abandon lointain l’ont plongée dans ce désarroi sans aspérités et sans partage. On ne saura pas non plus de quelle perte, de quelle absence, elle ne peut se consoler, on la prend comme on se prend soi-même, dans l’aveuglement et l’ignorance, et l’impossibilité de mettre un nom sur la tristesse d’exister. Son visage, le visage de Wanda, fermé, triste, obstiné.
Nathalie Léger, Supplément à la vie de Barbara Loden, P.O.L, 2012

Barbara Loden, Wanda (1970)

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Cette entrée a été publiée le 10/01/2012 par dans excipit, femme, et est taguée , , , , , .